[Afin de ne pas abuser de la patience du lecteur, nous avons jugé bon de supprimer toute entrée du journal non relative à l'histoire de la race des Vampires. Les entrées précédant celles-ci ne faisant que relater la vie de l'auteur, faite d'orgie, de repas et de discussion philosophique, quoiqu'intéressantes, n'ayant aucun rapport avec ce qui nous intéresse ici.]
Journal de Viktor McManus. Jour 1, année 1649
Pour comprendre notre situation actuelle, il serait utile, et même indispensable, de savoir ce qui s'est passé depuis les premiers siècles de l'existence de notre race. Bien des siècles plus tôt, nos ancêtres ont foulé cette terre, et l'ont exploité à la manière des humains. Ah, les humains... Les créatures intéressantes que voilà ! Ils ont été les premiers à fouler cette terre, et ont exploité celle-ci d'une façon bien plus sauvage que la nôtre. Nous, après tout, n'avons fait qu'imiter leur façon de faire, en l'adoucissant un peu. Mais passons. Nos ancêtres sont d'abord restés cachés, à l'abri dans les plaine reculées d'un pays d'Europe de l'Est. Pourquoi ? Les écrits retrouvés démontrent qu'ils ont émigré dans ces endroits isolés pour fuir l'humanité, qu'ils considéraient alors comme un peuple sauvage et qui ne mérite aucunement la compagnie d'une race comme la nôtre. Prétention de la part de nos nobles ancêtres, mais n'est-ce pas là une part de vérité ? Je me souviens qu'un Roi de jadis, Vlad Ruthwen, et moi discutions longuement de cette théorie. Il me disait alors « Mais, mon cher Viktor, ne pensez-vous pas que nos ancêtres eurent raison de fuir les humains ? », je répondais alors « Assurément, mon Roi. ». Ce à quoi il surenchérissait « Peut-être n'aurions-nous dû jamais nous dévoiler. », et je rétorquais « C'était le destin de notre race et celui des humains de nous rencontrer un jour. Rien ne peut aller contre le destin, même le pouvoir de votre Majesté. » Seulement, un jour, selon les écrits toujours, l'un de nous a voulu s'aventurer chez les humains, probablement en quête de gloire ou de sang autre que celui des animaux (sang dont nous nous contentions parfaitement à l'époque). Dès lors, les humains apprirent notre existence. Et ainsi tourna la roue du destin.
Il est tard. La suite de l'histoire attendra demain. Le jeune William me réclame aux échecs.
Journal de Viktor McManus. Jour 2, année 1649
Où en étais-je déjà ? Ah oui, les humains apprirent notre existence. Désormais, rien ne serait pareil. D'abord, et cela on peut le comprendre, les humains ne comprirent pas ce qui se passait. C'était pire qu'une révolution industrielle, après tout. Découvrir le charbon, c'est bien gentil, mais découvrir une autre race si semblable, plus proche de l'humain que le singe ne l'est, cela a dû être un traumatisme énorme pour cette race. La nôtre, elle, savait tout depuis le début. Les humains envoyèrent des émissaires, lourdement escortés certes, mais des émissaires tout de même. Donc, qui dit émissaire dit négociation pacifique. Et c'est ce qui se passa, du moins au début. Encore une fois, notre bon Roi Vlad Ruthwen avait une théorie. « Vois-tu, Viktor », me disait-il, « les humains ont envoyé des émissaires dans le seul but d'observer l'avancée de notre civilisation. Si à l'époque nous étions la grande puissance que nous étions aujourd'hui, ils auraient immédiatement conclu des accords commerciaux et des accords de paix. Hors, comme ce n'était point le cas, ils n'ont rien signé et sont repartis chez eux avec des informations favorables pour une invasion. » Ce Roi était plein de sagesse, et il était bien meilleur aux échecs que le dernier de la lignée. Mais je m'égare. Les émissaires retournèrent à la capitale de leur civilisation, dont le nom est passé aux oubliettes, et selon les écrits humains, leur Roi a tout de suite préparé une guerre. Il semblerait que notre race l'ait effrayé. Nos longues canines, notre soif de sang, notre longévité légèrement plus longue, notre teint diaphane et nos sens décuplés ont effectivement de quoi effrayer à prime abord. Il prépara donc son armée et s'avança vers notre bel Empire Transylvanien. Le Roi Ruthwen, dans son calme absolument admirable, donna des ordres stricts et clairs. Nos défenses furent préparés, et nous parvînmes à repousser l'offensive humaine. Et ce alors même que nos éclaireurs ne nous avaient prévenu de l'arrivée de l'armée humaine seulement deux jours avant qu'ils ne foulent nos terres.
Je poursuivrais bien ce récit, mais la fatigue se fait sentir, et j'ai peur que cette ennemie de la réflexion ne trouble l'exactitude de mes dires. Sur ce, bonne nuit.
Journal de Viktor McManus. Jour 3, année 1649
Reprenons. Les humains furent donc repoussés, et c'est sans prétention raciale de ma part que je dis que nous avons gagné haut la main. Nos pertes furent moindres, les leurs furent élevées. Ils se replièrent, et nous, Vampires, fêtâmes notre victoire de la façon appropriée. Un banquet somptueux, et des femmes. Beaucoup de femmes. Je me permets d'ailleurs de souligner que le souvenir de cette orgie de victoire en est un merveilleux pour le vieil homme que je suis. Mes membres ne me sont plus aussi fidèles qu'autrefois, seule ma raison est infaillible. Je m'égare à nouveau. « Vieux fou », me dirait ce jeune William, un garnement. Mais un garnement intelligent, il fera un bon dirigeant. Notre armée étant toujours d'aplomb et n'ayant perdu qu'à peine 10% de son effectif, notre bon Roi décida de riposter. « Si les humains ne sont pas capables d'accepter notre existence, pourquoi accepterions-nous la leur ? » disait-il à ses conseillers, dont moi. Notre armée avança, et nous enchainâmes victoire sur victoire, prenant l'une après l'autre chaque ville de l'Empire humain, anéantissant leur village de campagne, rasant leur cultures, éliminant toute résistance, satisfaisant nos désirs charnels avec leur femme... Attitude barbare ? Certes. La guerre réduit les anges en monstres qui dérangent. Nous étions loin d'être des anges. Arrivés à la capitale, nous [...]
Je m'arrête là. Mes mains me font souffrir, je reprendrais demain. Bonne nuit.
Journal de Viktor McManus. Jour 14, année 1649
Mon récit dut attendre quelques jours. J'étais dans un état de fatigue extrême, et le moindre fait d'avaler un bouillon m'épuisait. Aujourd'hui, je vais mieux, mais juste assez pour pouvoir finir de raconter l'histoire de ma race jusqu'à ce jour.
Où en étais-je ? Notre armée continua donc à travers le territoire humain, n'offrant que peu de résistance à notre puissance guerrière avancée. Arrivés à la capitale, ce fut plus ardu, légèrement plus ardu. La capitale étant la ville du Roi, il était normal que ses meilleurs soldats s'y trouvent. Des élites guerrières. Ces soldats, les Templiers comme on a pu le lire sur des écrits religieux humains, se défendaient farouchement, prêts à offrir leur vie pour le bon Roi qu'ils servaient. Tant convaincus dans leur foi qu'ils ne se rendaient pas compte que la bataille était perdue d'avance. Le dernier acte, la dernière scène de cette histoire se déroula dans le Château du Roi humain. Entouré de ses derniers Templiers, il arborait une épée couverte de runes et de symboles religieux, ornée de quelques bijoux, bien trop lourde pour le vieil homme qu'il était. Nous étions là. Le jeune Roi, William Ruthwen, nouvellement catapulté à la tête de notre race par une malheureuse flèche qui était allée se ficher directement dans le cœur de notre si vénérable Roi Vlad Ruthwen, moi-même, le Conseiller Viktor McManus, et une dizaine de nos meilleurs soldats, les autres étant restés dehors pour fouiller la ville et réunir toute la population. Les Templiers se défendirent valeureusement, mais ils ne purent vaincre notre nouveau dirigeant. Oui, car il fut le seul à se battre. Lorsque son épée éventra le Roi humain et qu'il posa le corps encore palpitant sur le trône, il ramassa une coupe et la remplit du sang du Roi. Puis il se tourna vers nous et, levant la coupe avec un large sourire, il lança un « A la gloire de notre race », et but entièrement la coupe. Ainsi commença notre sorte d'addiction. D'abord, ce ne fut que lors de grandes occasions puis, au fil des années, cela se transforma en tradition, puis, enfin, en addiction.
A nouveau, je suis épuisé. Ce journal devra attendre que j'ai pris du repos. A bientôt.
[L'auteur de ce journal, Conseiller Viktor McManus, est mort deux jours après cette dernière entrée dans son journal. L'auteur écrit alors en 1649, nous sommes désormais en 1749, un siècle plus tard.]