Promenade nocturne (ouvert à qui voudra bien)

De ses années d'errance, que ce soit en tant qu'humain ou que lycan proscrit, Stewart avait gardé une fascination pour la forêt. Cette forêt qui lui avait offert un refuge, où il avait vécu à la fois les heures les plus graves et les plus exaltantes de sa vie. Souvent, il s'éclipsait de Londres pour aller s'y promener seul une heure ou deux, après l'entraînement du soir. Cette journée avait été rude ; les nouvelles recrues n'étaient pas parmi les meilleures, il avait même dû pour la première fois prendre des sanctions contre un jeune lycan très aggressif. Ca le contrariait, car il n'avait pas oublié le sort terrible qui lui avait été réservé pour avoir aimé une Vampire...

Il s'engagea dans un sentier qui s'enfonçait au plus profond de la forêt, là où la lueur de la lune ne parvenait qu'à peine. Le vent dispersait dans les branches des arbres un chant mélancolique qui lui rappelait ceux des pêcheurs de son île natale. Il n'aimait pas se rappeler de l'île de Wight, et pourtant ces derniers temps il y pensait de plus en plus souvent. Il n'y avait jamais remis les pieds depuis qu'il s'en était enfui, dans une autre vie. Y avait-il encore là-bas des Crowley ? Qu'étaient devenus ses frères et soeurs ? Etaient-ils restés misérables ? Avaient-ils seulement survécu à la misère et aux excès de leur père ?

* Qu'est-ce qui t'arrive, Stewart ?! C'est de la faiblesse de penser à tout ça ! Ton destin, c'est de regarder droit devant, ne jamais te retourner, surtout ne jamais regarder en arrière... Arg ! Maudits soient les Crowley ! Que leur race soit éteinte !*

Il donna un violent coup de poing dans le tronc d'un arbre, faisant éclater l'écorce sous le choc. La vraie raison de sa contrariété et de sa mélancolie, ça n'était pas cette famille à laquelle il avait tourné le dos depuis longtemps. Il avait appris par un Lycan venu de Canterbury que son maître, Aleister, avait été assassiné sur ordre d'un chef lycan auquel il avait eu le malheur de déplaire. Maintenant, il était seul au monde, vraiment seul... Pourquoi fallait-il toujours que ceux qu'il aimait disparaissent ?! Il sentait remonter la révolte de sa jeunesse. Si les Lycans commençaient à se tuer entre eux pour des questions de rivalité et d'orgueil, les Vampires n'auraient aucun mal à les éliminer. Et cette idée, il ne la supportait pas !

Quand il fut au coeur de la forêt, il se transforma et laissa éclater sa colère et sa douleur. Comme un véritable loup, il se mit à hurler à la mort, et les loups de la forêt lui répondirent...

[Moi, je prends, si tu veux bien.]

Après avoir eut le consentement de son père. Après avoir croisé un des siens en ville, qui osait la soupçonner, après avoir couru pour échapper au regard des humains et après avoir marché lentement mais en faisant toujours attention, Ruby arriva enfin dans la forêt.

Pourquoi était-elle venue ici? Parce qu’elle avait besoin, envie, de se rappeler cet instant avec son père. Cet instant où il lui avait dit de fuir rapidement, d’aller se cacher vers ceux qui sont, aujourd’hui sa famille. Elle avançait lentement, elle avait baissé sa cap et l’on pouvait voir, à cet instant, ses oreilles qui surgissaient de ses cheveux. Elle touchait les arbres, doucement avec douceur, comme s’il s’était avéré qu’il s’agissait d’être fais de chair et de sang.

Elle se sentait bien là, au calme, loin de tout. Bien entendu, elle craignait toujours une attaque de ceux qui étaient ses ennemis mais elle était agile et bien que peu douée pour la lutte, elle pourrait tenter de leur échapper. De plus, elle savait que si il lui arrivait le moindre mal, son père accourrait pour la sauver. Elle lui faisait totalement confiance. Peut-être qu’un jour elle le regretterait, mais elle en doutait vraiment.

Perdue dans ses pensées, elle sursauta en entendant le bruit sourd d’un coup violent. Elle avait reconnu le craquement d’un arbre. Qui donc osait, qui donc, était autant en colère que ça pour détruire pareillement la nature. Mais, prise de peur que ce ne soit un ennemi elle alla, rapidement se cacher dans un arbre et approcha du point d’impact dans les arbres.

Entendant le cri perçant d’un de ses semblables et surtout ce qu’il signifiait, elle redescendit et courut en sa direction. Si elle ne savait pas se battre, en revanche, elle savait soigner et elle comptait bien ne pas laisser mourir un Lycan à quelques mètre d’elle. Elle approcha, néanmoins, avec prudence de ce loup en colère. Elle le craignait, certes, mais s’il était blessé, elle ne le laisserait pas seul.

Elle s’arrêta à quelques centimètres de lui et le regarda doucement. Elle hésita quelques secondes se disant que son petit corps frêle ne pourrait, jamais, contenir une telle créature mais qu’elle se devait d’aider. Quitte à périr, autant le faire en tentant d’aider quelqu’un. Elle hésita mais murmura doucement, néanmoins.

« Vous, vous êtes blessé? »

Elle se rendit compte, à ce moment précis, que sa cap était tombée dans sa course, laissant voir, en plus de ses oreilles, sa queue qui balançait frénétiquement de gauche à droite, sous l’anxiété du moment. Et s’il lui sautait dessus pour la faire taire? Était-ce, vraiment, une bonne idée d’être aussi proche de lui? Ne valait-il pas mieux monter dans un arbre pour tenter de lui échapper, au moins, par l’agilité. Son corps frêle et fin à elle, pourrait se glisser dans des endroits qu’il ne parviendrait pas à approcher.

Elle le regardait, avec crainte c’est vrai, mais aussi avec douceur pour lui montrer qu’elle ne lui voulait aucun mal, qu’elle voulait l’aider si cela était possible en tous cas.

[Très content, mademoiselle Ruby ]

Stewart entendit du bruit dans les fourrés, mais n'y prêta d'abord pas attention. Ca devait être un de ces animaux qui vivent la nuit ; la forêt faisait tellement peur aux humains que très peu d'entre eux y chassaient encore, et donc les animaux étaient très nombreux. Il hurlait toujours à la mort, le museau pointé vers le ciel, les yeux à moitié fermés et les poings serrés. A nouveau du bruit. Un peu comme le jour où il avait rencontré, justement, son maître Aleister pour la première fois... Si c'était lui ? Si ce qu'on lui avait dit était faux, si il avait pu s'échapper ?

Mais ce fut la voix hésitante d'une jeune fille qu'il entendit bientôt. Une jeune fille qu'il avait déjà aperçue chez les Lycans ; une sorte de guérisseuse, à ce qu'on lui avait dit. Il se sentait un gêné qu'on le voit dans cette situation, et il baissa le museau vers le sol.

- Non, mademoiselle, répondit-il d'une voix calme. Tout va bien de ce côté là... C'est juste que je viens d'apprendre la disparition de quelqu'un que j'aimais beaucoup, celui qui m'a fait ce que je suis... Il a été assassiné par un autre Lycan, cette idée me révolte !

En parlant, il touchait la cicatrice sur sa poitrine, la marque de ce qui l'avait séparé de sa meute, de la fin des années de bonheur à Bristol. Il leva un oeil sur la jeune fille. Elle tremblait : était-ce la peur ? Etait-ce le froid, car elle ne portait pas de manteau ?

- Vous tremblez ? N'ayez pas peur, je ne fais jamais de mal aux Lycanes. A moins que vous n'ayez froid, tenez, prenez mon manteau pour vous réchauffer, dit-il en lui tendant le vêtement épais. Les nuits sont encore fraîches... Je vous ai déjà vue chez les Lycans de Londres. Vous êtes la guérisseuse, c'est ça ?

Il s'assit sur le tronc d'un vieil arbre tombé lors du dernier orage. Le regard à nouveau baissé. Lui qui le jour était un formateur exigeant, qui ne ménageait pas les nouvelles recrues, il était là, abattu et triste devant cette jeune fille.

- Je ne sais pas si vous avez un remède pour le mal dont je souffre... Il y a des nuits où j'aimerais être un simple loup. Qui vit sa vie de loup au coeur de la forêt, sans se poser de questions... Mais que faites-vous seule dans cette forêt, à cette heure-ci ? C'est très dangereux, vous savez. Vous pourriez faire de très mauvaises rencontres !

Elle observa, un instant; toujours hésitante, le loup en face d'elle sas prononcer un mot de plus. Elle resta comme interdite devant la puissance, la peu et, à la fois, la tristesse de cet être en face d'elle. Sa queue remuait frénétiquement derrière elle, signe du stress et de l'angoisse qui montait en elle progressivement. Ses oreilles, quant à elles, vrillaient doucement comme si les battements de son cœur, allant crescendo, tapaient ses dernières avec insistance. Ses yeux, aussi doux qu'elle, tentaient d'analyser chaque mouvements que ferraient la créature en face d'elle.

Elle sourit, tristement, compatissant à sa douleur lorsqu'il lui expliqua, brièvement, quel était le mal qui le rongeait. L'être vivant, ou mort vivant, peut importe sa race a, malheureusement toujours cette faille des sentiments. S'attacher à quelqu'un en sachant, pertinemment que ce quelqu'un en question devra, tôt ou tard, nous quitter.

Elle se calma doucement lorsqu'il lui fit remarquer qu'elle tremblait. Elle savait qu'elle tremblait encore mais quelque chose lui disait qu'elle pouvait, vaguement du moins lui faire confiance. Elle restait, néanmoins à distance par mesure de protection dira-t-on. Elle l'observait avec attention avant d'oser quelques pas plus proches de lui.

Elle tendit sa main, toute chétive pour attraper le vêtement qui l'emporta presque tant il était lourd pour elle. Il faut avouer que, au vue du gabarit de l'homme et l'épaisseur du vêtement il pesait rapidement lourd pour la jeune lycane sans force.

Elle le passa sur ses épaules et calma son tremblement puis l'écouta la questionner sur sa présence en ce lieu elle fit un sourire à peine perceptible lorsqu'il lui dit qu'elle pouvait y faire de mauvaises rencontres. Pourquoi donc un sourire? Simplement parce qu'elle imaginait que LUI était une mauvaise rencontre déjà à la base. Elle le regarda doucement et entreprit, enfin de répondre à toute ses interrogations avec sa petite mais douce voix.

"En effet, je suis une sorte de guérisseuse, principalement du chef de ma meute. Ma présence dans la forêt est, simplement une espèce de recherche de réponse à des questions que je me pose. Bien que je dois avouer avoir très peur tout de même, je ressentais l'envie, non le besoin, de venir ici, maintenant. Et vous..." , elle marqua un temps d'arrêt, puis se décida à continuer, "pourquoi cette forêt, pourquoi maintenant?" ,questionna-t-elle hésitante.

La jeune lycane ne semblait pas tout à fait confiante, même si elle avait accepté de revêtir le manteau qu'il lui avait offert et qui pesait lourdement sur ses frêles épaules. Pourtant, elle n'avait rien à craindre de lui. Il y avait d'ailleurs en elle une fraîcheur qui le distrayait quelque peu de sa mélancolie.

- Hum, c'est bien cela, vous êtes le médecin personnel de notre chef, dit-il d'une voix qui se voulait la plus rassurante possible. On vous a appelée dernièrement pour soigner en urgence une recrue, un jeune freluquet qui n'avait pas observé les règles élémentaires de sécurité... C'est à cette occasion que nous nous sommes rencontrés, je m'en souviens à présent. Il paraît que le garçon est reparti tout penaud dans sa lointaine province aussitôt ses blessures guéries... Cela valait mieux pour lui, il serait mort au premier combat.

Ce n'était pas dans ses habitudes de sympathiser, il avait gardé de ses années d'errance un caractère sauvage et solitaire. Pourtant, elle réveillait en lui l'esprit de meute, ce besoin de sentir la chaleur des membres de son clan... Il l'invita à s'asseoir à ses côtés, lui faisant une place sur le vieux tronc abattu.

- Vous avez raison, jeune fille : tout lycan devrait écouter un peu plus son instinct de loup et chercher au coeur de la forêt les véritables réponses aux véritables questions... Il me semble que les lycans de Londres se sont hélas un peu trop accommodés du confort citadin, et privilégient leur part humaine, ce qui est assez triste, ne trouvez-vous pas ? Il y a tant de noblesse dans ces espaces que l'on dit sauvages...

Il s'interrompit un instant pour laisser les bruits de la forêt se saisir de ses paroles, les happer comme passe la brise. Peu à peu, la douleur se faisait moins intense ; l'esprit de son maître semblait en partie présent dans la lueur de ce regard.

- Le besoin que vous avez ressenti est sain, mademoiselle ! La nature offre un réconfort bienveillant à ceux qui savent lui être attentif... Pourquoi cette forêt ? Parce que c'est la plus proche et la plus authentique que j'ai pu trouver dans les parages. Dans Londres, il n'y a que des semblants de forêts, des décors de théâtre élaborés par l'homme avec une incompréhension totale de ce qui fait la grandeur de la nature... Tout ce que l'homme touche, il le pervertit, y compris ce qui est naturellement pur et beau ! Vous devez me trouver bien sinistre, n'est-ce pas ? Désabusé ?

Il se tut à nouveau, mais cette fois par pudeur. Depuis des années, il n'avait jamais livré le fond de son âme ; il tenait profondément enfouis ses sentiments, ses émotions, pour n'être que l'exécutant froid des besognes qu'on lui confiait... Etrange tout de même que le jour même où une page de sa vie se tournait, une toute jeune fille surgisse et parvienne à réveiller ce qu'il croyait éteint...

- J'ai vécu très longtemps au coeur des forêts, déjà lorsque je n'étais encore qu'un simple humain, dit-il enfin, les yeux dans le vague. Les bois ont été les complices des heures les plus cruciales de ma vie ; c'est pourquoi j'aime m'y retirer de temps à autre, dans le calme relatif de la nuit... Une façon de me ressourcer, je pense que c'est là une chose que vous comprendrez aisément, non ? Puis-je me permettre de vous poser une question ? Je ne voudrais pas vous embarrasser, ni vous sembler déplacé...