Cérémonie expiatoire pour les péchés de Londres (ouvert)

Depuis des mois déjà, monseigneur Bradwardine préparait avec ses gens une grande cérémonie expiatoire qui serait célébrée dans l'église St-Raphaël et à l'issue de laquelle serait brûlés en place publique 12 hérétiques et sorciers. Un bon grand spectacle pour faire trembler les dévots et rassasier la soif de vengeance et de sang des autres. Il y mettait en ce moment même la dernière touche aux préparatifs, tendant le choeur de tentures rouges et or évoquant le feu des enfers et réglant les derniers détails d'un cérémoniel destiné à frapper les esprits.

- Rajoutez des putti du côté droit, cria-t-il à l'équipe qui achevait de placer le dais au-dessus du choeur, je veux un fourmillement d'anges. Allons, placez plus discrètement ces angelots sodomites : les dévotes seront certes impressionnées, mais elles auront l'oeil partout ! Je préfère qu'ils soient disposés de sorte que je puisse n'en manquer aucun détail tandis que je célèbrerai la messe... Et centrez bien mes armoiries, juste en -dessous du grand crucifix !

Il allait et venait en tous sens, contrôlant chacun des détails auxquels il avait donné une importance particulière dans le grand spectacle qui allait se dérouler ici dans quelques jours. Il s'agissait tout à la fois de marquer les esprits, d'inspirer crainte et respect autant que de canaliser les peurs du peuple, tout en affirmant sa toute-puissance : il était le dernier rempart des croyants contre le Mal qui s'emparait chaque jour un peu plus de la ville - son sermon, peaufiné des nuits entières, serait éloquent à ce sujet. Un soufflet au visage des templiers, qu'il reléguait ainsi au second plan, ne leur en déplaise.

Un autre souci dans cette mise en scène, qui aurait pu tenir de la mascarade s'il ne s'était agi d'une cérémonie religieuse : envoyer des messages discrets à ses alliés des ténèbres, leur offrir le spectacle d'une foule tremblante qui s'accrochait à ses superstitions pour tenter d'échapper à la fatalité. Car il avait eu l'audace d'inviter quelques dignitaires vampires et lycans à cette cérémonie : il savait que ce que l'on racontait au sujet de leur crainte des lieux consacrés n'était que racontars de bonnes femmes. Ils assisteraient à cet office dissimulés dans les arcades gothiques de la tribune du premier étage de la cathédrale... Cette idée lui arracha un sourire pervers.

* Et tandis que je ferai en sorte que tout ce monde tremble devant les menaces infernales, l'Enfer lui-même jouira de leur effroi en direct. Cette perspective me réjouit au plus haut point ! Ce sera un beau moment, plus spectaculaire encore que le grand bûcher de York...*

Il sortait pour voir où en était l'érection du bûcher. On avait totalement dépecé un parc voisin pour construire l'échafaud et confectionner les fagots enduits de poix, afin qu'ils s'enflamment plus vite. Douze poteau se dressaient, avec leur lourdes chaînes destinées à entraver les condamnés : 7 femmes ( 2 prostituées de luxe accusées de vendre leurs charmes aux êtres des ténèbres, 1 bourgeoise convaincue de sorcellerie et de commerce pervers avec les vampires, 1 femme dont le mari avait payé fort cher pour s'en débarrasser et qui se trouvait accusée à tort de lycanthropie, 2 religieuses catholiques d'une institution pour jeunes filles accusées de vampirisme et de comportements contre nature sur leurs protégées, et le clou du spectacle : 1 vieille femme fort laide convaincue de sorcellerie, avec le physique de l'emploi et le langage ordurier - en réalité une malheureuse poivrote des bas quartiers ) et 5 hommes (1 cocher accusé d'avoir entraîné sa maîtresse vers une course fatale, 1 riche héritier convaincu d'avoir vampirisé toute sa famille pour en tirer profit, 2 greffiers du Parlement accusés de lycanthropie, et 1 étranger parlant une langue inconnue dont on disait qu'il ne pouvait être qu'un Transsylvanien).

- Belle brochette ! , lança en riant l'archevêque lorsque son secrétaire lui tendit la liste des condamnés et des sentences prononcées la veille. Ce sera un beau feu de joie. Ne les étranglez pas, et dites au bourreau de ne pas les droguer non plus : je veux des cris, des larmes, des supplications, des protestations d'innocence...! Oh, et veillez à ce que l'on donne assez de vin à la vieille avant l'exécution : il s'agit que ses vociférations soient à la hauteur de mes espérances !

- Tout est déjà noté, monseigneur, répondit le secrétaire, habitué aux fantaisies macabres du prélat. En ce moment, on les laisse se reposer après l'épreuve des interrogatoires et des procès ; on panse leurs plaies, de façon à ce qu'ils ne soient pas trop affaiblis...

- Ne me les soignez pas trop non plus, il faut quand même que l'on frémisse à la vue des tourments qu'ils ont enduré : il y va de la crédibilité de la justice ecclésiastique ! Terreur et fascination morbide : n'oubliez jamais que c'est la clef pour tenir le peuple, mon cher...

Les badauds regardaient la sinistre mise en scène se mettre en place, et l'archevêque, satisfait de cet intérêt, leur adressait volontiers une rapide bénédiction et les laissait baiser sa bague ou le bas de sa soutane. Après ce petit tour d'inspection, toujours flanqué de son secrétaire, il jeta un oeil à l'estrade qui ferait face au bûcher et sur laquelle il prendrait place en compagnie des officiels. Lady Sarah ayant disparu, il ne savait qui au juste occuperait la place d'honneur. Il avait pris soin d'inviter les chefs des templiers maudits, qui réprouvaient ces méthodes archaïques mais ne pourraient le faire publiquement. Il serait également entouré des généraux humains, chacun placé selon le protocole inspiré de l'ancienne Cour d'Angleterre. Enfin, il avait convié quelques évêques et abbés de sa connaissance, des amis issus de familles aristocratiques n'ayant pas fui le pays. Tout ce beau monde en tenue d'apparat pour un grand coup de chaud, cela promettait des moments délicieux. A l'issue, une réception aurait lieu au petit palais de l'archevêché attenant à la cathédrale. D'ailleurs, il fallait songer aussi à régler les détails de cette seconde partie des réjouissances.

- Il me semble, Jarlath, que nous en avons fini ici. Rentrons au palais, il reste quelques détails dont je souhaite vous entretenir, et des invitations supplémentaires à vous dicter. Hâtons-nous, car je ne voudrais pas devoir dormir une nuit de plus dans cette sinistre Forteresse : il me faut la douceur de mon manoir, la compagnie de mes chers antiques. Ah, et n'oubliez pas de faire mander la "dame" ; je la souhaite honorer ce soir, il semblerait que la lune soit favorable à ce qu'elle me donne enfin un bâtard digne de ce nom !

L'archevêque Ceolnoth Bradwardine pressait tant le pas pour traverser la place en direction du palais archiépiscopal que le malheureux secrétaire, les bras chargés de papiers et documents, avait bien du mal à suivre. Monseigneur jubilait, il allait offrir au tout Londres un moment d'exception...