Le trajet en fiacre avait été très amusant. Miss Domino s'était montrée très espiègle et n'avait cessé d'importuner le malheureux lord Bulkeley, que les divers breuvages avaient plongé dans un état second. Lorsque le fiacre était entré dans la cour du château, Fingal demanda à Domino de distraire les gardes afin qu'ils ne s'aperçoivent pas de la présence d'un humain à leurs côtés ; et cela fonctionna parfaitement, la demoiselle connaissant son affaire. Le fiacre, au lieu de venir se poster devant le perron de la façade principale, contourna la vaste demeure et les déposa dans le parc, près d'un petit édifice décoratif dans lequel était dissimulé un souterrain. Fingal avait découvert l'existence de cette entrée secrète en faisant des recherches dans les archives de l'ancien scientifique en chef, qui l'utilisait couramment. Depuis, lui-même avait pris l'habitude de l'emprunter lorsqu'il voulait entrer ou sortir sans être vu. Il s'était demandé pourquoi on avait construit un tel passage, qui menait directement aux escaliers de service desservant les étages pour l'usage des domestiques ; sans doute le Comte Dracula avait-il quelques petits secrets à ce sujet...
Miss Domino et lui eurent quelques difficultés à faire monter les escaliers à lord Bulkeley. Essoufflés, ils durent d'ailleurs s'arrêter à mi-chemin, tachant de faire le moins de bruit possible et espérant ne pas tomber sur un serviteur - ce qui était heureusement peu probable à cette heure.
- Ma chère, que l'animal est lourd ! , dit Fingal en tentant de reprendre son souffle, appuyé contre le mur de pierre. Je crois que nous y sommes allés un peu fort sur les breuvages. Il aurait été préférable qu'Adrian puisse marcher seul, quitte à ce qu'il nous pose des questions... Si le Maître venait à nous surprendre, je crois que nous nous ferions réprimander... Et je ne voudrais pas qu'il me prive de mon jouet favori... Bon, vous êtes prête ? Nous repartons. Au plus vite nous aurons rejoint ma chambre, mieux ce sera !
Ils poursuivirent donc leur ascension, lord Bulkeley leur paraissant un fardeau de plus en plus pesant. Ce fut ensuite plus facile dans le couloir. Et enfin ils atteignirent la porte des appartements de sir Mc Cruimein, où ils s'engouffrèrent aussi vite que possible.
- Ouf ! J'ai bien cru que nous n'y arriverions jamais ! Posons-le là, voulez-vous ? , dit Fingal en désignant un fauteuil. J'avais bien dit au Comte qu'il me fallait du personnel, mais "le Vieux" est un peu pingre, semble-t-il, et ne m'a guère fourni de domestiques... Bon, j'avoue que j'ai joué avec certains d'entre eux, mais tout de même ! Il faudra que je lui en touche deux mots, à l'occasion...
"Le Vieux" était un sobriquet que nombre de vampires utilisaient entre eux, par plaisanterie, pour désigner Dracula ; référence au fait qu'il était le plus ancien de leur espèce... Fingal aimait cette expression irrévérencieuse et l'utilisait volontiers, faisant trembler certains autres vampires qui n'avaient pas son audace ; avec Domino, il savait qu'au contraire cela l'amuserait sans doute autant que lui. Il se débarrassa de son manteau et de son chapeau, qu'il jeta négligemment, et se laissa lui-même tomber dans un fauteuil, invitant Domino à en faire de même. Ils restèrent ainsi un moment, puis se mirent à rire de cette aventure, ce qui eut pour effet de sortir lord Bulkeley de la torpeur dans laquelle il était plongé depuis leur arrivée.
- Eh bien, mon ami, il semblerait que vous ayez trop bu ! Je vous ai connu plus résistant aux plaisirs et aux excès... Vous vieillissez, mon cher !
Il avait sa petite idée sur la façon de terminer la soirée avant de faire placer Adrian dans la cachette prévue pour lui. Après tout, ils avaient bien mérité un petit amusement supplémentaire. Il utilisa donc le don des vampires de lire dans les pensées pour donner quelques recommandations à miss Domino :
* Ma chère, songeait-il volontairement en souriant. Comme je vous l'ai dit, il ne s'agit pas d'abimer ce jeune écervelé. Il m'appartient corps et âme, et j'ai grand besoin de lui. Cependant, nous pouvons nous distraire avec lui pour terminer cette soirée. Prenez garde, réfrénez vos instincts : pas de morsure ni de cicatrice ou blessure quelqconque ! Vous me connaissez, je serai sans pitié avec vous si vous l'endommagez, même par inadvertance...*