Visite impromptue de Monseigneur (PV Sir Ehogan /son valet)

Concernant l'invitation pour Sir Ehogan Gallan, Commandeur des Templiers de Londres, monseigneur Bradwardine avait jugé préférable de la porter lui-même puisqu'il devait passer la nuit dans la Forteresse. Il quitta donc ses appartements et emprunta d'un pas décidé l'escalier pour gagner le troisième étage. A vrai dire, il aurait pu envoyer l'un des nombreux domestiques de la vaste demeure, ou encore l'un de ses gens. Mais il y avait deux raisons à ce choix : tout d'abord, il ne souhaitait pas froisser ouvertement le chef des Templiers maudits, ce qui eut été une erreur de débutant ; ensuite, parce qu'il souhaitait jouir en personne et en direct de la réaction du chevalier à l'annonce de sa grande cérémonie...

*Saura-t-il garder son calme ? , pensait-il en gravissant les degrés de pierre. Ou au contraire osera-t-il se dresser contre une décision de l'Eglise d'Angleterre ? En tant que combattant de la foi, il ne saurait, même s'il dépend du Vatican, mécontenter le clergé et laisser à penser au peuple qu'il désapprouve une célébration religieuse, ni l'expression de la justice divine... Voilà un instant qui promet d'être délicieux !*

Il rit tandis qu'il pénétrait dans le long couloir menant aux appartements privés du commandeur Gallan. En passant devant ceux de lady Sarah, dont il savait de source sûre qu'elle était pour l'heure absente, il put vérifier que son secrétaire avait glissé l'invitation sous la porte, la laissant dépasser juste assez pour que l'on sache si elle l'avait reçue ou non. Il marchait à pas lents, les plis de sa longue soutane glissant sur le sol avec un son léger comme un souffle résonnant sous les voûtes de l'étage.

Lorsqu'il fut enfin parvenu devant l'entrée des appartements du Templier, il caressa la croix qui pendait sur sa poitrine, prit une posture hiératique et gratta à la porte avec détermination. La partie qui allait se jouer serait fort intéressante, son interlocuteur ne pouvant se dérober.

[bon on va dire que ce post se situe un ou deux jours après le combat dans la forêt . Pour Sarah, on peut dire qu’elle se repose ^^]

J’ouvris brusquement les yeux, repensant à tout ce qui venait de se dérouler… Ce rêve m’avait réveillé en sursaut et je transpirais fortement. J’essayais de m’extirper de mon lit, mais de violentes douleurs me ramenèrent à la réalité. J’avais du mal à bouger, et pourtant je ne me souvenais plus très bien de ce qui s’était passé dans la forêt ; mon dernier souvenir était celui de Sarah me regardant alors que je me trouvais dans ses bras. D’ailleurs, en parlant de Sarah, comment allait-elle ? Elle avait réussi à surmonter le poison qui coulait dans ses veines et était devenu une hybride ; mais est-ce qu’elle s’acclimatait à son nouvel état ? Toutes ces pensées et ces réflexions me faisaient mal à la tête et je me mis à parler à haute voix.

« Raaaah cette douleur… Pourquoi Dieu a-t-il inventé le mal de crâne, c’est une véritable torture… »

Tout en disant cela, je venais de rabattre d’un coup sec la couverture sur moi, me retrouvant totalement caché sous celle-ci. J’entendis alors un frottement à la porte.

*Qui cela peut-il bien-être ?*

Je relevai la couverture, m’installant confortablement dans mes coussins et cachant ma nudité, puis je repris :

« Entrez. »

[ HJ : certes, Sir, il vous faut vous remettre de ce combat ; mais être dénudé devant un archevêque lubrique, vous prenez des risques... ]

La réponse fut assez rapide à venir, et monseigneur Brawardine ouvrit la porte d'un geste assuré, entrant dans la chambre avec son habituelle allure hautaine. Le Commandeur des Templiers était encore alité, souffrant visiblement d'un mal de tête. Sans doute les effets de ce combat dans la forêt dont le prélat avait vaguement entendu parler par ses informateurs. Il s'approcha du lit, et s'inclina légèrement pour le saluer, puis fit un signe de croix pour lui donner sa bénédiction.

- Le bonjour, mon fils, dit-il d'une voix calme. Dieu vous bénisse, en Sa grande miséricorde... Encore alité, cher Commandeur ? Ne me dites pas que ce combat vous a tant éprouvé que cela, un Templier doit en avoir vu d'autres...

Il s'efforçait d'être ironique sans pousser trop loin l'irrévérence, car il connaissait la susceptibilité du personnage et la haute opinion qu'il avait de sa propre personne. Ce guerrier un peu bourru était prompt à monter sur ses grands chevaux, et pour l'heure il s'agissait de se montrer aimable, autant que faire se peut, afin d'obtenir qu'il accepte l'invitation. Il différa donc la question cruciale en prenant des nouvelles de lady Sarah. Puisqu'il n'y avait semble-t-il pas de sièges pour les invités, il resta debout près du lit.

- Avez-vous des nouvelles de lady Sarah ? Les dernières que j'ai obtenues étaient pour le moins inquiétantes pour notre avenir... Mais sans doute serez-vous parvenu à sauver la dame...

Son regard se promenait dans la chambre, dont la relative sobriété tranchait singulièrement avec les richesses dont s'entouraient d'ordinaire les personnages de haut rang. Puis il revint au Templier, qui maintenait les draps rabattus sur lui ; visiblement, il dormait nu, ce que l'archevêque jugeait de la dernière vulgarité mais qui lui tira un petit sourire amusé...

- Vous souffrez, il me semble, d'un mal de crâne... Si vous le souhaitez, je vous enverrai mon apothicaire personnel, ses poudres font de véritables miracles, vous verrez... Mais venons-en au but de ma visite, je ne voudrais pas abuser de votre temps précieux ; car vous ne comptiez sûrement pas rester au lit ad vitam aeternam...

Il s'approcha et lui tendit un parchemin portant son sceau, la fameuse invitation au grand événement qui se préparait. Tout Londres y assisterait et, malgré le peu de sympathie qu'il avait pour cet ordre, l'archevêque tenait à ce que les Templiers y soient représentés.

- Nous combattons chacun à notre manière les forces des ténèbres, qui chaque jour un peu plus sèment la ruine et le chaos dans cette ville... Depuis le décès de Sa Majesté et la fuite lâche des principaux membres de la famille royale et de la Cour, le peuple est livré à lui-même, ce qui n'est jamais bon, vous en conviendrez. En tant que Primat d'Angleterre, j'ai décidé de frapper fort, ainsi que je l'avais fait lorsque j'étais archevêque d'York. Il faut un événement qui marque les esprits, capable à la fois de rassurer les masses humaines sur notre capacité à gérer la situation et de faire savoir à nos adversaires que nous serons sans pitié. Tout cela au saint nom de Dieu, bien entendu, et selon les préceptes de notre foi...


Il marqua un temps d'arrêt, pesant chacun des mots qu'il allait prononcer et faisant un grand effort pour cacher son mépris, ce qui était sans doute le plus difficile. Il portait sur le commandeur un regard d'une neutralité absolue, un sourire tout aussi neutre aux lèvres et les mains jointes sur la croix qui ornait sa soutane.

- Aussi ai-je fait préparer une grande cérémonie expiatoire qui sera célébrée en notre cathédrale, en présence de toute la population et des principaux dirigeants et responsables. Il va sans dire que votre présence est plus que souhaitable : elle est indispensable si nous voulons coordonner nos efforts et laisser entendre à nos ennemis que nous sommes unis dans ce combat pour la foi. Le Cardinal Monticelli, de l'entourage papal, m'a fait savoir dans un récent courrier qu'il approuvait pleinement cette décision ; vos supérieurs vous accorderont donc leur bénédiction pour y prendre part... A l'issue d'une grande messe de repentance et de pénitence, nous procèderons sur le parvis de la cathédrale à l'exécution sur le bûcher de 12 hérétiques reconnus coupables et condamnés par notre tribunal ecclésiastique. Ce sera un avertissement pour tous ceux qui pourraient se laisser tenter de collaborer avec l'adversaire, et bien entendu pour nos adversaires eux-mêmes...

Il ne put s'empêcher de sourire en songeant au contenu du sermon qu'il prononcerait durant la cérémonie religieuse. De plus, évoquer le Cardinal Monticelli, l'un des plus proches collaborateurs du pape au Vatican, était un argument qui laissait déjà entendre à Sir Ehogan Gallan qu'il ne saurait refuser sans froisser sa hiérarchie...

- Et comme nous n'avons pas souvent l'occasion de réunir tout ce beau monde, acheva-t-il, je donnerai à l'issue de ce " grand spectacle " une petite réception au palais de l'archevêché. Soirée à laquelle vous êtes comme il se doit cordialement convié, mon cher. Alors, qu'en dites-vous ? Je sais que je vous prends au dépourvu, mais votre soutien en cette affaire m'est indispensable...

Monseigneur Bradwardine avait fort bien compris que sir Gallan cherchait à le provoquer en le qualifiant d' "archevêque d'York", ce qu'il était toujours, bien entendu, mais titre auquel il préférait celui de St-Raphael de Londres qu'il s'était arrogé. Cependant, pour ne pas faire au templier le plaisir de voir sa pique porter, il ne laissa rien paraître de son agacement devant une telle insolence.

*Quel misérable, oser me défier avec une telle vulgarité ! Je reconnais bien là ses manières de rustre qui prétend n'en être pas un !, songeait-il en arborant son habituel visage neutre. Tu ferais bien de te méfier de l'archevêque d'York, Ehogan Gallan, car un jour il pourrait causer ta perte... Une rumeur en direction du Vatican, et c'en est fait de toi ! Mais pour l'heure, j'ai encore besoin de toi, tu as de la chance... Montrons-nous patient, la vengeance viendra bien assez tôt...*

Il ne prêta à ses réponses qu'une oreille distraite. Ce n'était pas le genre de personnage dont on appréciait la conversation, et il était peu probable qu'il lui apprenne quelque chose qu'il ne sache déjà. Il acquiesça lorsque sir Gallan évoqua la nécessité pour lady Sarah de se reposer ; le personnage entendait sans doute garder le contrôle de la dame, dont il était paraît-il épris... Il sourit avec amuseement lorsque son interlocuteur refusa sa proposition concernant son apothicaire, et se contenta de répondre par un geste de la main signifiant "éh bien tant pis". Le croyait-il assez sot pour tenter de l'empoisonner, et se priver ainsi de le voir subir un sort bien plus cruel ? Mais quand Ehogan lui demanda de se retourner car il n'osait sortir nu de son lit, l'archevêque ne put s'empêcher d'éclater de rire franchement.

- Soit, mon fils, je ne voudrais point vous mettre dans l'embarras, répondit-il en se retournant donc, lorsqu'il eut retrouvé son sérieux. Je vous trouve étrangement pudique pour un guerrier, mon cher. Mais il est vrai que vous les papistes avez coutume d'être fort embarrassés par la nudité !

Il dut faire un effort sur lui-même pour calmer son fou rire, afin de ne pas froisser son hôte. Mais la situation était fort cocasse, il ne manquerait pas de raconter cette scène à l'occasion, ni de la noter dans ses mémoires. Lorsque sir Gallan fut enfin vêtu, sans avoir même fait une rapide toilette - ce qui, bien entendu, le fit passer pour plus rustre encore aux yeux de l'archevêque - , il fut rassuré d'entendre de sa part une réponse affirmative à son invitation.

- Vous m'en voyez fort aise, mon fils. Ainsi le peuple de Londres pourra constater que papistes et anglicans font cause commune dans la lutte contre le Mal. En ces temps troublés, cela a son importance... Je vous ferai réserver, comme il se doit, une place d'honneur dans la cathédrale. Je vous demanderais de porter les insignes de votre ordre, en tenue d'apparat ; nous devons faire impression sur les fidèles... Et je compte sur vous pour faire en sorte que lady Sarah soit des nôtres ; faites-lui entendre, je vous prie, que sa présence est incontournable. Si son état nécessite l'intervention de gens de médecine, l'archevêché pourra vous en recommander de fort habiles...

L'ecclésiastique prenait plaisir à adopter un ton mondain, susceptible de mettre son interlocuteur mal à l'aise. C'était un jeu auquel il prenait beaucoup de plaisir en présence de personnes dont il savait qu'elles maîtrisaient très mal l'art de se comporter en société. Lui-même avait dans le privé des manières très simples, mais ses différentes fonctions lui avaient appris combien ce que l'on qualifiait de "savoir-vivre" pouvait être une arme redoutable dans certaines circonstances. Derrière les amabilités et autres politesses perçaient toujours des traits plus cruels encore que l'arme la plus affutée. Restait à voir comment le commandeur allait s'y prendre pour mettre un terme à leur entrevue. Il ne comptait pas s'éterniser ici, et cependant il ne prendrait pas l'initiative de se retirer. Il était bien trop jouissif de mettre son hôte un peu plus dans l'embarras...

Je n'écoutais mon interlocuteur que d'une oreille, ainsi je ne répondis pas devant la brimade que venait de lui lancer l'homme d'église sur ma nudité. Je ne voulais pas que cet entretient ne dure une éternité. N'espérant qu'une seul chose, c'est que cet homme fiche le camp. Habillé (et lavé >_<) Je me levais me dirigeant vers mon bureau, la lettre toujours à la main. Arrivé à celui-ci, je m y assis puis j'apposai mon sceaux sur la lettre marquant ainsi ma présence lors de Cérémonie expiatoire. Je me dirigeais ensuite vers Ceolnoth et je lui remis le rouleau.

"Voila ainsi vous serez certains de ma présence. Mais je m'interroge... Qui y aura-t-il comme autres invités ?"

J'attendis quelque instant avant d'écouter sa réponse puis je me dirigeais vers la porte que j'ouvris, cette discussion n'avait que trop duré. Il était temps d y mettre un terme. Je repris alors.

"Vous m'excusez mon chère Archevêque d'York" dis-je en souriant "mais je dois écourter cette entrevue, j'ai de nombreuse affaire à régler."

Je lui fis un salut militaire malgré mon dégout pour cet homme, puis je le regardai partir avant de refermer la porte. Je soupirai alors.

*Et bien ce n'est pas trop tôt... Ceolnoth Bradwardine, un jour j'aurais ta tête.*

Sur cette pensée je repartis à mes occupation.

(HJ : tiens donc, tout à coup vous réalisez que vous ne vous étiez point lavé, très cher... )

L'archevêque s'amusait beaucoup de cet entretien et des efforts que faisait sir Gallan pour se montrer à la hauteur de l'irrévérence masquée sous la politesse apparente. Il faillit éclater de rire en le voyant apposer son sceau sur une invitation, preuve qu'il était à la fois agacé et troublé par les piques envoyées sous un vernis de politesses. Mais il n'en fit rien, l'heure était à faire bonne figure, et non à railler. La soirée à l'archevêché serait une bien meilleure occasion de taquiner l'officier...

- Quels autres invités ? , répondit-il négligemment. Mais le tout Londres, mon cher, le tout Londres. Le peuple n'a pas d'autre choix, et est si effrayé qu'il ne manquera pas de venir en masse : après tout, ce sera la première grande cérémonie religieuse publique depuis mon intronisation en tant qu'archevêque de Londres. Mais les grands noms de ce pays qui n'ont pas choisi la fuite m'ont eux aussi assuré de leur présence. Sans compter, bien entendu, tout le haut clergé d'Angleterre...

Le faux pas en matière de savoir-vivre fut fait, comme il s'y attendait. Et comme de bien entendu, il en fut ravi. Prendre congé d'un prélat en ouvrant la porte comme un domestique, c'était d'une vulgarité inqualifiable ; il marqua d'ailleurs son mécontentement en considérant la porte, puis Sir Gallan, avec un regard dans lequel on pouvait lire tout le mépris qu'il avait tenté de maîtriser jusqu'à présent.

- Sans vous offenser, mon fils, le rang que vous occupez à présent exigerait que vous soyez à même d'adopter de meilleures manières, même si je puis comprendre la rudesse militaire... , ne put-il s'empêcher de faire remarquer. Je vous ferai envoyer, pour votre instruction, un ouvrage qui pourra en cela vous être utile. Je vous laisse à vos "affaires", j'en ai moi-même hélas de fort nombreuses à régler, en tant qu'archevêque tant d'York que de Londres ; toutes sont urgentes aux dires de nos secrétaires, n'est-ce pas ? Dieu vous bénisse et vous maintienne en Sa Sainte Miséricorde, ajouta-t-il en lui adressant un signe de bénédiction, sachant parfaitement que cela achèverait d'agacer le papiste.Et soyez ponctuel à la cérémonie, je vous prie. Dieu n'attend point. A vous revoir, Sir.

Il sortit avec un air particulièrement altier, d'un pas lent et digne afin de jouer de façon provocante son rôle de Primat d'Angleterre. Il attendit que la porte se soit refermée pour se remettre à rire. Certes, ce n'était pas charitable du tout pour un homme d'Eglise, mais après tout l'habit ecclésiastique n'était jamais pour lui qu'un masque bien utile.